Question d’un lecteur : « Comment gérer les droits d’auteur sur un projet amateur qui devrait passer pro ? »

19 mars 2011 - 18:34 | Dans Questions - Réponses | 6 commentaires

Les questions en entraînent d’autres !
En voici une nouvelle qui fait suite à la précédente:

Le message:

Bonjour,

Tout comme MrNothing, ton blog m’a vraiment aidé notamment au moment de recruter du monde pour notre projet. Donc, merci tout d’abord pour ce blog 🙂

Je suis un game designer junior en pleine recherche de boulot et je me suis lancé dans un projet de jeu de plateformes 2.5D en amateur avec un ami programmeur. Le projet a réellement démarré fin 2010 et le manque de graphistes s’est vite fait ressentir. On a réussi à recruter 4 personnes plus ou moins impliquées dans le projet en fonction de leur temps libre et, depuis, le projet avance doucement mais surement.

A cause de toutes les questions que l’on se pose au démarrage, j’étais heureux d’avoir sous les yeux ta réponse à MrNothing et ai particulièrement été intéressé par les deux approches que tu proposes. Elles m’ont un peu rassuré sur la direction que notre projet prend : on est parti sur l’approche « bande de copains ». Mais d’un autre côté, le problème des partages, de la licence, de l’aspect juridique qui, immanquablement surviendront si avec un peu de chances notre projet intéresse quelqu’un, m’inquiète.

Au moment du recrutement des graphistes, j’avais bien précisé l’aspect « amateur bénévole » du projet avec une simple démo pour objectif. C’est un projet qui a pour but d’embellir son CV pour ceux qui veulent bosser dans cette industrie et c’est l’occasion de se faire plaisir pour tout le monde ! D’après ta réponse à MrNothing, on est en cours de la 1ere étape que tu décris (l’aspect MMO en moins).

Cependant, certains membres et moi-même se posions la question du licensing et de ce que l’on ferait si notre prototype intéressait une boite ou si l’enthousiasme des joueurs nous poussait à faire grandir le projet.

A ton avis, est-ce que je dois déjà penser à la gestion des droits ? Le faire au moment de présenter mon projet serait un peu casse-gueule à mon avis… Si l’on doit retirer tout le contenu des personnes qui ne veulent pas continuer avant de présenter le jeu, on va se retrouver avec une démo amputée et une bonne part du boulot à refaire pour avoir quelque chose de présentable.

Question un peu annexe, que penses-tu des initiatives comme celles-ci : http://www.digital-coproductions.com/ ou http://unity3d.com/union/ ?

Dans l’attente d’une réponse,
A bientôt.

ben9.9

Ma réponse :

Bonjour Ben 9.9 (un pote de Ben 10 ?),

déjà, merci pour ton merci.

Alors tout d’abord un gros warning: je ne suis pas un avocat (IANAL comme on dit sur /.), par conséquent tout ce que je vais dire par la suite n’a absolument aucune valeur juridique et je ne pourrais être tenu pour responsable si jamais ta maison prend feu ou si ta voisine te harcèle avec des sms érotiques (on ne sait jamais).

Ce qu’il faut savoir sur l’aspect juridique des droits pour un cas de ce genre :

Et bien il faut savoir c’est que c’est, pardonnez-moi l’expression, un peu la merde.

Les lois sur les droits d’auteurs ne sont pas adaptées pour tout ce qui concerne les jeux vidéo, la création sur internet et les projets amateurs.
De plus, ça prend tellement de temps quand une loi passe de sa création initiale à sa promulgation (encore pire si ça passe par la case Europe, il faut compter parfois 7 ans), que les usages ont beaucoup changé entre temps. Il arrive donc qu’une loi puisse être dépassée avant d’entrer en vigueur, ce qui est souvent le cas avec Internet.

Parenthèse: Rajoutons le fossé culturel/mental entre les geeks et les juristes, et on obtient Hahahadopi: la loi qui coûte très cher et ne sert à rien, malgré le fait qu’on les ait prévenus pendant des années.

Pour ton cas il faudrait donc jongler avec des bouts de lois inadaptés et se taper des jurisprudences pour essayer d’y comprendre quelque chose (ce qui est très pénible quand on est ingénieur : on se demande comment on peut faire des lois aussi floues que ça 🙂 )

Un dernier point important à prendre en compte, c’est que les projets de jeux vidéo amateurs ne sont pas vraiment la préoccupation des juristes/avocats.
Donc légalement, bon courage…

Maintenant à ton niveau, que peux tu faire ?

Vu que tu ne vas pas prendre un avocat maintenant, une solution pourrait être de faire signer à chaque intervenant une sorte de contrat qui indique juste qu’il s’engage à te laisser utiliser son travail à des fins de démonstration tant que le jeu n’est pas vendu, même si lui même abandonne le projet.
Légalement ça ne doit pas valoir grand chose mais au moins ça montrera ta bonne foi et ça clarifiera les choses.

Si le graphiste veut se retirer du projet, il peut mais il doit te laisser utiliser son contenu pour que tu puisses le présenter à des investisseurs ou autre.
Par contre, si tu veux commercialiser le jeu, soit tu fais refaire les graphs du graphiste qui est parti, soit tu as une option pour les lui racheter. Dans ce cas là, mettez vous d’accord sur un tarif lors de la rédaction du contrat (autant d’euros la texture, autant d’euros le sprite, etc.)

Le but n’est pas tant d’avoir un contrat juridiquement irréprochable (inadapté pour un projet amateur) mais simplement de prévoir les différents cas possibles et d’avoir une solution qui soit juste pour tout le monde dans chacun des cas.

Pour l’étape d’après il faudra voir avec un vrai avocat spécialisé.

Pour les initiatives dont tu parles :

Et bien je suis sceptique.

Le « crowd financing » pour le jeu vidéo, je n’y crois pas trop.
Déjà pour la musique le système ne semble pas être si bien que ça (j’ai lu récemment que certains projets de ce genre s’étaient arrêtés et que même MyMajorCompany était en difficulté), mais c’est encore plus casse gueule pour du jeu vidéo.

Il faut en effet prendre en compte les éléments suivants:
– les projets de jeux vidéo sont très casse gueule, donc le risque d’échec est très important (surtout si on laisse des amateurs ajouter des projets comme c’est apparemment le cas sur le site Digital Coproductions)
– le marché est très saturé (faut vraiment sortir du lot pour être rentable)
– la cible des donneurs potentiels est bien plus réduite que pour la musique
– c’est pas 2 ou 3000 € qui vont changer grand chose à la réussite d’un projet
– il n’y a pas encore (à ma connaissance) de success story utilisant ce genre de plateforme. (Minecraft a vendu son alpha, c’est un système proche mais différent car les acheteurs ne deviennent pas producteurs)

Pour le service d’Unity, ça peut éventuellement être intéressant mais ils ont l’air d’avoir juste un rôle d’intermédiaire avec des portails. Ce genre de service existe déjà pour les casual games.

Pas encore de St Graal donc.
D’un autre côté, quand un St Graal apparaît (Facebook, iTunes, Steam), il est pris d’assaut et il devient quasi impossible de sortir du lot, donc bon… 🙂

6 Comments »

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  1. Salut, une idée serait de faire un listing des Crédits (qui gagnerait d’ailleurs à figurer dans le jeu, comme on peut le voir sous forme d’écran « crédits » dans la plupart des jeux), et qui expliciterait « qui a fait quoi ». Au-delà du coté presque obligé de la chose, le jour ou il faudra réfléchir sérieusement aux cotés juridiques (si cela s’avère nécessaire), alors ça sera bien utile.
    Ainsi on peut faire un joli tableau listant: le concept initial, la conception du gameplay, le game design (réglages, etc..), le level design, la programmation, l’intégration, la réalisation (« director » chez les anglo-saxons), la conception graphique, les animations, l’ambiance sonore (musique, bruitage), les tests, … et éventuellement une entrée pour la diffusion/distribution (recherche de sponsors, etc..)
    Ainsi, quand le projet sera fini, chacun verra qui a fait quoi.

    Commentaire by PifPaf — 22 mars 2011 - 4:22 - #

  2. Merci Dam’s pour cette réponse. C’est bizarre d’avoir à se préparer à une situation aussi hypothétique =)

    Je regarderai plus en détail la politique d’Unity avec Union mais ça semble une bonne alternative à un éditeur et surtout plus simple…

    Commentaire by ben9.9 — 24 mars 2011 - 17:27 - #

  3. PifPaf> c’est un bon départ, mais si les membres ne sont pas d’accord sur la « valeur » de la contribution de chacun, on est pas plus avancé… (du code vaut + ou – que des graphs ? ou qu’un game design ?)
    Ben> oui, c’est un gros problème… si tu veux « bien faire », tu perds un temps fou à apprendre toutes les subtilités pour éviter d’éventuelles emmerdes. Mais bon, il vaut mieux avoir rapidement une solution efficace à 80% que de chercher à tout maîtriser à l’avance (ce qui n’aboutira généralement sur rien)

    Commentaire by Dam's — 25 mars 2011 - 16:47 - #

  4. Bonjour,

    cela faisait plus d’un an que je n’étais pas passé lire ce blog, donc je ne découvre cet article qu’aujourd’hui. Il est probable que le demandeur initial de renseignement soit depuis informé, mais dans le doute, et pour d’autres gens de passage je me permets de compléter un peu le propos de cet article.

    Tout d’abord je tiens à préciser que la loi française sur le droit d’auteur c’est à dire le code de la propriété intellectuelle (CPI) encadre parfaitement bien le contexte particulier de la création des œuvres logicielles.

    En ce qui concerne le projet dont il est question dans cet article, il sera considéré par le CPI comme étant une œuvre de collaboration (pas collective, la nuance est très importante).

    Une œuvre de collaboration est une œuvre dont plusieurs personnes ont participé à la conception et à la réalisation. Les rôles de chacun des participants peuvent être d’importances inégales ou de disciplines différentes, comme similaires. Ce qui définit particulièrement l’œuvre en collaboration c’est que la réalisation soit commune et issue d’une décision concertée.

    Dans l’œuvre de collaboration, chaque auteur est coauteur de l’œuvre et est propriétaire des droits à égalité avec tous les autres. C’est à dire surtout que chacun des auteurs peut faire valoir ses droits dont celui de divulgation ou de respect de l’œuvre (2 des droits moraux) et donc interdire une future cession de droit. C’est ce qui peut poser problème ici d’ailleurs.

    Si lors d’une présentation d’un prototype un éditeur est intéressé, ce dernier devra obtenir l’autorisation de chacun des auteurs pour exploiter l’œuvre. Sera alors négociée une cession de droits qui fixera les rémunérations de chacun des auteurs (qui elles n’ont pas forcement à être égales entre les coauteurs).

    Pour résumer, dans un contexte de création par un groupe d’amateurs, si un jour le projet arrive à un stade où une exploitation est en jeu, il faut que chacun des auteurs liés au projet signe une cession de droit pour que l’exploitation puisse être effective. Chaque auteur a autant de pouvoir qu’un autre pour dire non. Donc si des gens ont quitté l’équipe entre temps il faudra soit entrer à nouveau en contact avec eux pour les amener à signer une cession de droit, soit refaire faire leur travail par un autre auteur.

    Bon tout ça ne s’applique tel que seulement dans le cas où l’exploitant de l’œuvre comme les auteurs sont en France. Pour un exploitant dans un autre pays il faudra tenir compte des spécificités du droit d’auteur de ce pays.

    Tout ça est un peu long et sans doute aussi un peu austère. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que présenter un prototype à un éditeur cela peut se faire de toutes manières, même si des membres de l’équipe ont quitté le projet, et ça peut donc se faire sans leur accord (on parle d’une démo pas d’une exploitation de l’œuvre). Tout ce qu’il faut c’est être transparent et clair avec ses interlocuteurs et leur préciser qu’en l’état telle ou telle partie du jeu est le travail de quelqu’un qui n’est plus impliqué aujourd’hui, cela supposera juste de le contacter en cas d’exploitation et/ou éventuellement refaire faire son travail si un problème de cession de droit se pose.
    Alors ce n’est pas trop difficile pour des illustrations ou un accompagnement sonore, c’est en effet plus compliqué pour des portions du code source.

    Et c’est là que je m’accorde avec l’article, oui ça peut être la merde si les gens ne savent plus forcement se mettre d’accord sur qui a fait quoi sur le projet, ou si les gens se sont fâchés entretemps.

    Commentaire by Ygwee — 9 juillet 2011 - 1:07 - #

  5. Ça c’est du commentaire 🙂

    Commentaire by Dam's — 23 juillet 2011 - 20:29 - #

  6. Hé bien merci beaucoup Ygwee 🙂
    C’est on ne peut plus clair ! Je sais ce que je dois faire maintenant =)

    Commentaire by ben9.9 — 15 novembre 2011 - 14:41 - #

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